E-commerce africain:
sur les épaules des géants
E-commerce africain : sur les épaules des géants
Leap2Shop, Marketplace[1]dédiée à l'exportation des produits et services des producteurs locaux et des PME et Naboeko, jeune compagnie d'initiative africaine ont signé un joint-venture.Nabeoko n'adopte pas le modèle de e-commerce des géants de la grande distribution, des entreprises et des startups qui ont pris l'Afrique pour cible. Ceux-ci ont choisi le principe de l'importation vers l'Afrique d'un modèle occidental de commerce en ligne et de produits de grandes marques. Celle-là a retenu le principe de l'exportation depuis l'Afrique des biens et des services des producteurs locaux et PME africains sur les marchés transfrontalier, continental et international. La survie et le développement d'une grande partie de l'économie africaine dépend de cette capacité des petits producteurs à s'ouvrir sur les marchés en passant de la production de biens non échangeables à celle de biens exportables.
Exporter plutôt qu'importer. Si l'initiative est louable, le pari est risqué. En effet, Leap2Shop – Nabeoko, petit poucet du e-commerce, s'insère inévitablement dans le contexte complexe et compétitif du e-commerce africain dont la nouvelle entreprise doit retenir les lignes de force, mais aussi de faiblesse, pour assumer sa vision et remplir sa mission.
Après avoir analysé la situation du e-commerce en Afrique, nous pointerons huit questions majeures qui se sont posées à ce secteur au cours de la dernière décennie, pour finalement retenir quelques enjeux du commerce en ligne africain qui devraient baliser le chemin à parcourir par Leap2Shop – Nabeoko.
Le e-commerce en Afrique
En 2018, la Commission économique pour l'Afrique des Nations unies[2]dressait un état des lieux du commerce électronique et numérique dans les pays africains. La diversité de ses formes va de la vente en ligne à des produits purement numériques et au commerce des données, en passant par les nouveaux échanges résultant de l'adoption de nouvelles technologies numériques.
Cette diversité se résume usuellement en six catégories[3] : entreprise à consommateur (B2C), entreprise à entreprise (B2B), consommateur à consommateur (C2C), gouvernement à consommateur (G2C), gouvernement à entreprise (G2B) coopérative à coopérative (Co2Co)[4].
Le B2C, qui est la forme la plus répandue, facilite l'appréhension de la situation du e-commerce en Afrique et de ses enjeux.Pour cela, l'indice B2C du commerce électronique grand public[5], établi par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), institution spécialisée des Nations Unies, caractérise l'aptitude des pays, particulièrement africains, à procéder à des achats en ligne. Il est basé sur quatre indicateurs : pénétration bancaire ou d'argent mobile, utilisation d'Internet, disponibilité des serveurs Internet et fiabilité des services postaux.
Sur cette base, en 2018, 21 millions d'Africains avaient acheté en ligne, représentant moins de 2 % du volume mondial. Le continent reste donc largement en retrait d'un secteur commercial qui a connu une croissance régulière dans le monde depuis 1994. Pour autant, le bilan n'est pas univoque.
En effet, le classement de l'Afrique peut donner lieu à deux types d'interprétation.Certes, le continent reste en retard. 13% des internautes africains, principalement en Afrique du Sud, au Nigéria et au Kenya, achètent en ligne contre 68% en Europe. Le Secrétaire général de la CNUCED invoque cette raison : « L'Afrique n'est pas aussi bien préparée à l'économie numérique et à profiter de ses avantages que le reste du monde. Les trois quarts de sa population n'ont pas encore commencé à utiliser Internet »[6].
Cependant, le continent progresse vite. Depuis 2014, la progression annuelle de 18% est supérieure à la moyenne mondiale. Pour accroître le volume d'échanges, le continent fait face àtrois types de contraintes. Premièrement des contraintes structurelles : bancarisation inférieure à 20 %, fiabilité et rapidité des connexions à Internet, logistique en raison de la défaillance du système d'adressage et de la sécurité des routes, fiabilité des services postaux,défi du « dernier kilomètre » du centre de distribution à la destination finale,manque de définition du cadre juridique et réglementaire, manque de compétences spécifiques au commerce électronique.
Deuxièmement, des contraintes culturelles. Les consommateurs n'ont pas l'habitude d'acheter en ligne : manque de confiance, méfiance, peur du vol de données, questions de cyber sécurité, changement radical d'habitudes, freins logistiques pour la diaspora.
Troisièmement des contraintes économiques. La cause du retard tient au niveau de richesse. Le développement du e-commerce suit l'indice de développement humain. Les pays africains qui sont en bonne position dans le classement ne comptent pas parmi les plus défavorisés. Mais les derniers classés par l'indice sont aussi les derniers à l'indice de développement humain.
Malgré ce constat mitigé, l'avenir du e-commerce africain semble prometteur pour au moins trois raisons. Premièrement, le potentiel de l'Afrique est énorme. Le potentiel est démographique. Sur un continent qui compte 1,2 milliard d'habitants et doublera sa population en 2050, l'Africain moyen n'a que 19,5 ans. Le potentiel est économique. Grâce à la richesse de leurs sol et sous-sol, la plupart des pays africains disposent d'atouts majeurs pour la mise en place des industries de transformation et des services indispensables à l'amélioration des performances économiques.
Deuxièmement, l'augmentation de la classe moyenne. En 2018, en utilisant une méthodologie innovante, la startup Fraym[7]estimait la classe moyenne du continent à 330 millions de personnes, c'est-à-dire le quart du continent, dont la consommation ne se résume pas seulement à des denrées de première nécessité, mais aussi à des produits « premium ». Les marchés urbains du Caire, de Lagos, Johannesburg et Kinshasa en étaient les principaux regroupements. L'estimation rejoint celle de la Banque africaine de développement[8]qui estimait en 2017 la classe moyenne à 326 millions de personnes sur la base d'un salaire annuel supérieur à 3 900 US dollars (3 969 euros).
Troisièmement, l'implantation de la finance digitale. Pour la classe moyenne qui bénéficie de comptes bancaires, mais aussi pour ceux qui ne sont pas bancarisés, la finance digitale peut être un levier de développement du e-commerce. Actuellement deux Africains adultes sur trois n'ont pas accès aux services bancaires. Mais, depuis la success storyde M-Pesa lancée au Kenya en 2007, la finance par la technologie a montré qu'il n'est pas besoin d'être bancarisé pour bénéficier d'une inclusion financière. En 2017, troisAfricains sur 4 disposaient d'un téléphone portable[9]et 45% d'un compte d'argent mobile.
Le réservoir du e-commerce africain est énorme. Géants de la grande distribution, entreprises, startups, beaucoup y ont vu une belle opportunité à saisir. Entre tentatives, échecs et réussites, entre problèmes logistiques, diversité des moyens de paiement, résistances culturelles et investissements successifs, comment l'Afrique a-t-elle vécu cette évolution du e-commerce ?
Opportunités et risques du e-commerce africain
En Afrique, le e-commerce est un secteur économique prometteur. Les analystes du Cabinet Boston Consulting Group considèrent que d'ici 2025 il deviendra un levier de croissance dans les pays africains[10]. Des millions d'emplois pourraient être créés, concourant à réduire le chômage, particulièrement de la jeunesse. Les entreprises de ce secteur pourraient espérer une croissance de 20 à 30%. Avec cet objectif de développement en ligne de mire, quels leviers sont utilisés par les géants de la grande distribution, les entreprises et les startups de l'e-commerce pour qu'une telle vision soit réalisable ?
À lui seul, le parcours de la startup Jumia, qui en huit ans s'est imposée comme leader incontesté sur ce marché, pourrait suffire à résumer les enjeux du secteur, ainsi que les leviers à mobiliser pour concourir au développement économique de l'Afrique. Deux dates permettent d'appréhender les opportunités autant que les risques de l'initiative.
En 2012, l'Afrique devient l'un des objectifs du groupe Rocket Internet SE, un incubateur allemand de startups qui adapte des concepts de commerce en ligne à d'autres pays. L'entreprise recrute des fondateurs, issus de banques, d'entreprises ou de cabinets de conseil, pour lancer de nouvelles entreprises en quelques mois.
Rocket Internet crée en France Africa Internet Group (AIH), un groupe d'entreprises d'internet opérant en Afrique regroupées en 2016 sous le nom de Jumia, dont l'un des dirigeants souhaite faire sur le continent africain « une marque aussi connue que Google, Amazon et Youtube »[11].
Mais la vision de Jumia se heurte à certaines réalités. En avril 2020, après huit ans de soutien, Rocket Internet, actionnaire principal de Jumia, vend la totalité de ses parts[12]. La vente s'est échelonnée au cours de l'hiver pour se conclure au début de la crise de la COVID-19. Les résultats de Jumia compromettant ceux de Rocket Internet, le groupe allemand décida de se retirer. Les spécialistes du commerce en ligne cessent donc de soutenir la plateforme. Les intérêts sont partagés entre des compagnies de téléphonie mobile (MTN, Millicom, Orange), un assureur et banquier (AXA Africa) et un distributeur de vins et spiritueux (Pernod Ricard).
Ce retrait signifie-t-il que Rocket Internet a achevé son travail d'incubateur ? Ou que Jumia, plus généralement le commerce en ligne n'est pas rentable et peine à s'implanter en Afrique. Pour comprendre, retour sur dix années d'implantation concurrentielle du e-commerce en Afrique dont une brève analyse des initiatives balise le chemin parcouru en huit questions.
Question de modèle
Après le premier clic de l'histoire du e-commerce à Philadelphie en 1994, la première commande expédiée par Jeff Bezos depuis son garage en 1995, il faut attendre dix ans pour que le e-commerce commence à se développer en Afrique.
En 2014, dix ans après l'essai de Phil Bradenberger, plusieurs initiatives sont lancées[13]en Afrique au moment où eBay et Amazon sont encore absents du continent. L'Afrique représente alors à peine 2% des ventes en ligne mondiales. En 2013, au Nigeria, pays le plus actif, une centaine de millions de dollars s'échange sur les plateformes. L'opportunité peut être réelle car les centres commerciaux sont encore peu nombreux en raison de l'insuffisance de clients, des coûts immobiliers et de mise en œuvre.
Si les commerçants de la grande distribution prennent l'initiative du commerce en ligne, comme prolongation de la distribution classique, ils sont vite rattrapés par des startups aussi ambitieuses qu'efficaces qui adoptent le modèle de la Marketplace. Ainsi, Jumia annonce d'emblée ses ambitions en visant la place de leader du commerce en général, tous types confondus.
En 2014, en Côte d'Ivoire, Cdiscount est lancé avec le soutien de Casino, groupe français du secteur de la grande distribution et Bolloré, groupe français international de transport, de logistique et de communication. En avril 2016, Corporation for Africa and Overseas (CFAO), établie en France, lance AfricaShop en Côte d'Ivoire, au Sénégal, puis dans dix pays, pour faciliter l'achat de la commande au paiement. En juillet 2016, dans un contexte de concurrence avec le groupe français Carrefour, la plateforme Yatoo est lancée par Prosuma, entreprise spécialisée dans la grande distribution en Côte d'Ivoire, qui complète ainsi son réseau de magasins.
Les promesses de croissance africaine attisent les appétits. De nombreuses startups se lancent dans la vente en ligne avec pour objectif de supplanter les leaders de la distribution classique. Les centres commerciaux virtuels des grands commerçants sont alors concurrencés par les Marketplacesdes startupsqui mettent en relation des vendeurs et des acheteursen leur offrant un service logistique d'expédition et de livraison des et un système de paiement. Elles proposent aussi des services additionnels aux marchands tiers (B2B). Elles contribuent ainsi au développement des marchands et soutiennent la croissance de la plateforme tout en consolidant son modèle économique. Le concept est fondé sur une doubleimportation. Importation d'un concept occidental de commerce en ligne : souvent les dirigeants sont occidentaux, le siège est hors d'Afrique. Importation de produits de consommations d'Europe, des États Unis et de Chine.
Les startups Konga au Nigéria et Rupu du Suisse Ringier au Kenya, puis au Ghana privilégient cette formule de mise en relation sécurisée entre des vendeurs institutionnels et des acheteurs. Si Jumia a débuté par un modèle classique d'achat puis de revente des produits[14], elle s'inspire vite des modèles de e-commerce nord-américains, le moteur de croissance des ventes en ligne.
Question d'alliance
Une sorte de course à la taille s'instaure. Grande distribution, entreprise ou startup, qui deviendra le plus vite un mastodonte du e-commerce africain ? Une double compétition fait rage, entre grande distribution et startups d'une part, entre startups d'autre part. Cette course a pour effet de recomposer le paysage du e-commerce africain. En effet, les deux matchs vont vite tourner à l'avantage du Jumia de Rocket Internet.
En 2013, le Kenyan Konga licencie 60% des employés et vise un rachat. En 2016, Cdiscount et le groupe Casino abandonnent. En novembre 2018, CFAO suspend AfricaShop et annonce son alliance avec Jumia pour fonder Adialea en partenariat avec le groupe Carrefour. En 2019, Prosuma ferme son site. Les uns après les autres, les commerçants classiques et les startups abandonnent ou nouent des alliances, après avoir perdu leur marché au bénéfice de Jumia.
Sans pour autant devenir une licorne, la startup de Rocket Internet est devenue leader du e-commerce en Afrique en usant de plusieurs atouts : terrain presque vierge, qualité de l'équipe fondatrice, image de sérieux, agrégation de la concurrence, 80.000 vendeurs, 820 millions de dollars levés sur les marchés, liens avec les multinationales, logistique performante, une centaine de sociétés de livraison associées, base de données des acheteurs, etc.
Les raisons de l'échec des uns et de la réussite des autres sont diverses. Elles sont de nature opérationnelle : manque d'infrastructures, de logistique, défaillance du système d'adressage physique en Afrique. Elles sont aussi financières : rentabilité, nécessité de réinvestir constamment. Passons en revue quelques-unes de ces raisons d'échec ou de réussite.
Question d'opérations
Entre la réception des produits en magasin et la livraison à domicile, la logistique est au cœur des enjeux du e-commerce. En Afrique, livrer une lettre ou un colis relève souvent du casse-tête. Les adresses africaines n'ont rien avec à voir avec les adresses occidentales. Un directeur de Jumia résume la question de l'adressage africain ainsi[15] : « Pour que quelqu'un trouve un consommateur, vous devez avoir un partenaire local qui sait où se trouve le consommateur, sur la base d'informations très subjectives… « Je vis dans la troisième rue près de l'église avec la porte bleue », c'est l'adresse ».
Dès le lancement du e-commerce en Afrique la question de la logistique s'est posée de façon aigüe. Cdiscount s'est appuyé sur le réseau Bolloré. AIH a équipé Jumia de 6000 motos. La concurrence s'est accrue avec l'arrivée sur le marché de logisticiens mondiaux qui se sont engagés dans le e-commerce africain.
Ainsi, en juillet 2019, Dalsey, Hillbloom and Lynn (DHL), société de transport de colis et courriers créée aux Etats-Unis et détenue par Deutsche Post qui opère dans 220 pays et territoires, se lance sur le marché du e-commerce africain. DHL s'associe à la plateforme nigériane MallforAfrica en complément de son activité logistique dans cinquante pays africains pour créer Africa eShop. Peu après la création de l'entreprise, la puissance de la logistique permet à Africa eShop de passer devant Jumia pour la couverture géographique.
DHL possède des atouts majeurs : présence en Afrique depuis 1978, plus de 1000 véhicules, plusieurs hubs, présence dans les aéroports, une quinzaine d'appareils. Mais DHL souffre d'un handicap. Les délais de livraison sont plus longs que Jumia qui s'appuie sur des vendeurs locaux. Quand Jumia livre le jour même ou le lendemain, Africa eShop demande de cinq à sept, voire dix jours.
Question de communication
Quelle que soit la stratégie adoptée par la grande distribution, l'entreprise ou la startup, le budget consacré à la communication est essentiel. Elle contribue à augmenter l'audience de la plateforme ce qui favorise une monétisation en offrant des services payants en matière de publicité ou de logistique et permet par conséquent de couvrir les frais engagés. Ainsi, Jumia dépense des millions de dollars en publicité que ce soit via les canaux traditionnels – journaux, radio, télé – ou les réseaux sociaux qui permettent un accès facileà la gamme des produits. Abaisser le budget de la communication présente un risque à la conséquence immédiate. Ainsi, dès que Jumia baisse son budget de communication, les ventes diminuent[16].
Question de marché
La grande distribution, les entreprises, les startups ne poursuivent pas la même stratégie marketing. Quand certains visent le marché de masse, d'autres choisissent un marché de niche. Sur le marché de masse de la grande distribution, CFAO décida d'ouvrir le catalogue des grandes marques occidentales. Certains, comme Yatoo, placent tout leur catalogue en ligne, lorsque d'autres différencient l'offre on line de l'offre off line.
Sur le marché de masse des startups, la concurrence se développe sur l'ampleur du catalogue proposé aux acheteurs. Lorsque Africa eshop ouvre un catalogue immense de 8,5 milliards d'articles, Jumia n'en propose que de 10 à 15 millions à son catalogue.
Certains accordent la priorité aux produits occidentaux. Ainsi, Africa eShop ouvre l'accès à deux cents commerces principalement au Royaume Uni et aux Etats-Unis et revendique plus de choix que la concurrence. D'autres associent des producteurs africains. Jumia cite l'exemple d'un petit producteur tunisien qui augmenta sensiblement sa production grâce à la plateforme.
Certains visent des marchés de niche correspondant à un produit, un service ou un public-cible spécifique. Ces marchés permettent d'être confronté à une concurrence moins forte, mais pour des volumes de ventes potentiels plus faibles et plus limités. En pratiquant des prix élevés, Africa eShop vise probablement les marchés de niche[17]des classes supérieures et moyennes des consommateurs africains.
Question de marge
La question des marges est un élément essentiel de la stratégie financière de la grande distribution, des entreprises et des startups. Certains optent pour une marge modérée sur un grand volume de ventes, lorsque d'autres choisissent les marges élevées, par exemple sur un marché de niches. Le commerce en ligne pur est très coûteux. Le monde des commerçants traditionnels s'appuie sur un principe commercial de marges faibles mais régulières qui deviennent souvent un frein au développement de l'entreprise. Jumia adopte aussi le principe des prix très bas avec des marges faibles. Concurrence oblige, malgré des prix généralement élevés Africa eShop revendique des prix moins élevés que Jumia pour 80% des achats. Cependant les prix restent prohibitifs pour une grande majorité de la population africaine.
Question de paiement
L'Afrique fut innovante dans le domaine de la finance digitale. Les procédures d'achat du e-commerce ne pouvaient ignorer la dématérialisation des paiements. Deux types d'évolution sont intervenues dans les procédures de paiement : soit à la livraison en cashou prépaiement à la commande ; soit, et en cas de paiement à la commande, paiement par carte bancaire ou mobile moneyde type wallet.
Au début de la décennie 2010, le paiement à la livraison, souvent en cash, était majoritaire. Le paiement par carte de crédit, qui suppose de disposer d'un compte bancaire restait minoritaire[18]. En revanche le paiement par téléphone mobile est préféré par les populations bancarisées ou non. Des initiatives ont été prises pour suivre cette évolution.
CFAO proposa le paiement en e-boutique. Voulant éviter les problèmes des sites internationaux qui demandent un paiement par carte bancaire, le shopping se réalisait en euros avec une agrégation en Francs CFA. Pour le paiement, en partenariat avec un centre commercial à Abidjan, le groupe s'appuyait sur l'initiative burkinabè des e-boutiques Afromania.
Au départ, Jumia a choisi le paiement à la livraison. Mais le paiement à réception entraînait une quantité non négligeable d'annulations, de lordre de 15%. C'est pourquoi, en 2016, constatant que chaque opérateur avait créé son propre moyen de paiement, la startup mit en place JumiaPay. Il s'agit d'un service de paiement qui facilite la procédure de paiement et constitue un facteur de rentabilité. JumiaPay offre de nouvelles perspectives à la startup en devenant une filiale à part entière. JumiaPay peut vendre les données à des organismes de prêt sur la base des transactions réalisées pour proposer des prêts adaptés en fonction des profils des vendeurs.
Dès lors, même si le prépaiement dépend des règlementations nationales, il est devenu un élément capital pour la réussite des plateformes de e-commerce en Afrique. Il favorise l'efficacité logistique et abaisse les coûts. Dès lors, la maîtrise de la finance digitale, la possibilité de payer avec un wallet, utiliser ses outils annexés – QR code, carte NFC, phrase secrète - sont des atouts incontestables pour augmenter le nombre des consommateurs.
Question d'investissement
De la petite entreprise d'initiative privée en quête de soutiens financiers locaux à la grande entreprise qui candidate à l'entrée en bourse, toutes les initiatives de e-commerce ont été confrontées aux levées de fonds pour résoudre la question de l'investissement.
Le cas d'Africamarket est illustratif[19]. En septembre 2019, Africamarket, Marketplacedisposant d'une plateforme de paiement et d'une logistique de livreurs, renonce après six ans d'activité. Face à la domination de Jumia, l'entreprise rencontre des difficultés à lever des fonds sur les marchés pour atteindre une taille optimale. Lorsque Jumia a levé 200 millions en un jour, Africamarket peine à lever les 20 millions manquants à sa comptabilité. Les investisseurs peinent à accorder leur confiance aux plateformes en raison de marges faibles et de problèmes opérationnels.
Pour sa part, Jumia s'appuie sur des actionnaires puissants et prêts à investir beaucoup d'argent sans espérer de retour immédiat sur investissement. C'est le cas des opérateurs de téléphonie mobile – MTN, Orange, Millicom – qui sont habitués à la lente rentabilité des réseaux et misent sur la consultation du site de e-commerce et le paiement en ligne par mobile money. En avril 2019, forte de ces appuis, Jumia fait son entrée au New York Stock Exchange[20].Dès le premier jour, la plateforme leader lève près de 200 millions de dollars. Une performance aussi remarquable que remarquée pour une startup franco-africaine.
Cependant, dans le monde rude de la finance, même les meilleurs ne sont pas à l'abri. Cinq mois après son entrée à la bourse de New York sensée être une consécration, le leader africain fait face à des attaques de spéculateurs[21]. Son action chute de 24%. Sans trouver la parade, l'encadrement évoque la flexibilité des marchés, le temps nécessaire pour atteindre la rentabilité.
L'attaque est rude. L'entreprise est accusée de fraudes à propos d'un programme de fidélisation – des milliers de volontaires passent des commandes pour des tiers en échange de commissions. Ces suspicions entraînent une augmentation des pertes, sans qu'elles soient compensées par une augmentation des utilisateurs, du chiffre d'affaire ou du volume des ventes.
Ces attaques à la bourse de NY ne sont pas sans semer le doute chez les investisseurs. Les opérateurs téléphoniques doutent. MTN réduit sa participation. Pour Orange les résultats sont en retrait des attentes. L'assureur français AXA se dit déçu des résultats.
Après les incidents qui ont suivi l'entrée à la bourse de New York, Jumia cherche à retrouver un équilibre[22]. L'entreprise n'est toujours pas rentable. Elle cherche à s'inspirer des géants Amazon et Alibaba. Jack Ma inspire Jumia qui souhaite multiplier les services – livraison de repas, réservation d'hôtels, etc. Les initiatives inspirées du black Friday américain et du 11 novembre chinois[23]ne sont pas sans rapporter des sommes importantes.
Malgré cela, Jumia a perdu 100 millions de dollars et cherche toujours la voie de la rentabilité. Après l'entrée en bourse, la course à la taille devient difficile. Des contacts sont pris pour un rachat éventuels avec Amazon et Alibaba. Mais rien ne filtre sur ces hypothèses.
Finalement la plateforme se redresse[24]. Après la baisse vertigineuse entamée en mai 2019, se profile maintenant le temps de la stabilité. Le titre se relève à la bourse. La société retrouve le chemin de la croissance. Ses fondateurs sont optimistes. Un nombre croissant de grandes marques deviennent clientes. Qui plus est, la crise sanitaire a été l'occasion d'une accélération et de l'espoir d'un rush vers le commerce électronique. Le service de paiement JumiaPay, disponible sur sept marchés africains, n'est pas étranger à cette relance. En s'inspirant des plateformes de paiement instantané, Jumia compte bien en faire l'outil quotidien de tous pour payer des services et des produits à tout moment et en plusieurs monnaies et par conséquent devenir un outil d'inclusion financière.
L'avenir prometteur du continent laisse des espoirs au leader qui croit en l'avenir : augmentation d'internet, classe moyenne, etc. Mais quand la classe moyenne africaine aura-t-elle des modes de consommation équivalentes à ceux des classes moyennes européennes, américaines ou chinoises.
Sur les épaules des géants
Revenons à Leap2Shop – Nabeoko. À ce jour, la jeune initiative africaine est assurément loin d'avoir toutes les réponses aux huit questions qui façonnent la réussite ou l'échec d'une plateforme de e-commerce en Afrique. La connaissance du contexte dans lequel elle s'insère facilite la définition des enjeux auxquels elle fait face au moment de sa création.
Le modèle est défini. Pour faciliter l'exportation des PME africaines, le choix n'est pas de créer une nouvelle plateforme B2C, mais plutôt une sorte d'hybridation entre le B2B, en inscrivant les PME sur la plateforme et en contribuant à leur développement, et de Co2Co, en procédant à des associations entre des coopératives, associations autonomes de personnes volontaires visant à atteindre des objectifs communs.
Des alliances devront être trouvées. En Afrique, les PME représentent « un gisement évident de croissance pour peu que les partenaires publics-privés travaillent main dans la main pour améliorer leur compétitivité »[25]. Elles représentent 90 % du secteur privé, près des trois quarts des emplois générés, mais seulement un quart du PIB africain. A ce titre, l'association des gouvernements sera essentielle pour faciliter les affaires des entreprises inscrites sur la plateforme.
Des partenariats devront être signés pour faciliter les opérations avec l'appui de sociétés internationales de transports et des partenaires locaux. Une stratégie de communication, dont le coût ne devra pas être négligé, devra être conçue pour faire connaître la plateforme, ses marchands, ses produits en utilisant les moyens classiques et les réseaux sociaux.
Il ne peut être question de viser le marché des consommateurs de masse, mais celui de niches particulières relatives aux producteurs inscrits sur la plateforme. Ainsi les marchés visés pourront autant concerner des biens de consommation, des services ou des marchandises (commodities). Les marges de bénéfice seront définies pour chacune de ces niches. L'intégration régionale des PME, par le commerce transfrontalier sera visée dans un premier temps. Cela supposera davantage d'intégration régionale pour plus d'échanges commerciaux au sein des grandes sous-régions du continent. Le marché international ne sera pas négligé.
Le paiement en ligne est le point fort de Leap2Shop – Nabeoko. L'appui des sociétés du groupe Winstant Network, particulièrement WinstantPay et World KYC, permettra aux PME d'exporter en limitant les contraintes habituelles des transactions bancaires. Elles bénéficieront d'une synchronisation entre le KYC et le paiement qui garantit la sécurité des transactions.
Enfin la question des investissements sera majeure, tant pour Leap2Shop – Nabeoko que pour les PME partenaires. Il revient à Nabeoko de trouver parmi ses partenaires financiers ceux qui seront en mesure d'investir dans la plateforme. Concernant les PME, la plupart d'entre elles peinent à obtenir des lignes de crédit bancaire. Les innovations dans les secteurs du capital-investissement et du stock exchange pour les PME seront investiguées.
C'est seulement en faisant face à ces enjeux que Leap2Shop – Nabeoko pourra s'inspirer des expériences des géants mondiaux – Alibaba, Amazon – ou africain – Jumia – et peut-être s'installer sur leurs épaules pour voir plus loin.
GILLES KLEIN - Managing Director Europe - Africa
[1]Une Marketplaceest une plateforme qui met en relation des acheteurs et des vendeurs sur Internet. En échange, la plateforme bénéficie d'une commission sur les ventes réalisées. Certains sites marchands ne proposent que les produits de vendeurs tiers (eBay). D'autres, accueillent les produits des vendeurs tiers en plus de leur gamme de produits (Amazon).
[2]Commission économique pour l'Afrique des Nations Unies, 2018, Note sur le commerce électronique en Afrique,
https://unctad.org/meetings/en/Contribution/CEA_UEMOA2018_fr.pdf
[3]Il est rare que les plateformes proposent une forme exclusivement d'une autre. De nombreuses plateformes de vente au consommateur (B2C) proposent des services additionnels aux marchands tiers (B2B). Elles contribuent ainsi au développement des marchands et soutiennent la croissance de la plateforme tout en consolidant son modèle économique.
[4]Co2Co : sigle créé par l'auteur.
[5]UNCTAD B2C E-commerce Index 2018,
https://unctad.org/en/PublicationsLibrary/tn_unctad_ict4d12_en.pdf
[6]Mukhisa Kituyi, Secrétaire général de la CNUCED, UNCTAD B2C E-commerce Index 2018, Ibid.
[7]Jeune Afrique, 2018, 95 % de la classe moyenne africaine vit dans 20 pays
https://www.jeuneafrique.com/646078/economie/infographie-a-la-recherche-des-classes-moyennes-africaines/
[8]Jeune Afrique, 2017, Développement : 350 millions d'Africains font désormais partie de la classe moyenne, https://www.jeuneafrique.com/440767/economie/pays-africains-trois-a-atteint-niveau-de-developpement-moyen-eleve-selon-bad-locde-pnud/
[9]On notera que les chiffres sur la transformation numérique ne sont pas concordants. Selon le rapport 2018 sur l'IDC, environ 67 millions d'Africains possédaient des smartphones lorsque selon le Dot Fintech le chiffre serait de 1,3 milliard.
[10]Jeune Afrique, 2019, DHL s'invite sur le marché du e-commerce africain et veut rivaliser avec Jumia, https://bit.ly/3iygGfl
[11]Jeune Afrique, 2016, Africa Internet Group fait de Jumia la marque unique de ses principales sociétés,
https://bit.ly/2AbyL1G
[12]Jeune Afrique, 2020, Quels actionnaires pour Jumia après le départ de son créateur, Rocket Internet ?
https://bit.ly/2ZhiHE7
[13]Jeune Afrique, 2014, La bataille de l'e-commerce en Afrique a commencé,
https://bit.ly/387GMRz
[14]Jumia a commencé par vendre des téléphones portables : McKinsey, 2020, Booming e-commerce in Africa,
https://www.mckinsey.com/featured-insights/middle-east-and-africa/how-ecommerce-supports-african-business-growth
[15]McKinsey, 2020, Ibid.
[16]Jeune Afrique, 2019, E-Commerce : Jumia en quête d'équilibre,
https://bit.ly/2W2aVxd
[17]Jeune Afrique, 2019, DHL s'invite sur le marché du e-commerce africain et veut rivaliser avec Jumia,
https://bit.ly/3f0ZdKD
[18]En Afrique, l'utilisation moyenne d'une carte de crédit est estimée à2,2 pour 100 habitants.
[19]Jeune Afrique, 2019, E-commerce : pourquoi Afrimarket baisse le rideau,
https://bit.ly/2YYHpdl
[20]Jeune Afrique, 2019, E-commerce : Jumia fait une entrée remarquée sur la bourse de New York,
https://bit.ly/3gqzFXt
[21]Jeune Afrique, 2019, E-commerce : Jumia sur la corde raide,
https://bit.ly/2ZzXPrW
[22]Ibid.
[23]En Chine, le 11 novembre est la journée des célibataires. Elle rapporte à Alibaba cinq fois plus que le Black Friday aux Etats-Unis. Trois chiffres du 11 novembre 2019 : 38,4 milliards US dollars de vente ; 1 milliard de dollars de ventes dans les 68 premières secondes ; 97% livré en moins de quatre jours.
[24]Jeune Afrique, 2020, Jumia, Une saison au purgatoire,
https://www.jeuneafrique.com/mag/1019928/economie/jumia-une-saison-au-purgatoire/
[25]Jeune Afrique, 2014, PME africaines : les 3 ingrédients de la réussite à l'heure de la mondialisation https://www.jeuneafrique.com/6555/economie/pme-africaines-les-3-ingr-dients-de-la-r-ussite-l-heure-de-la-mondialisation/
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